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LE CARNET DU CITADIN II
Le mystère de la disparition des trains

La ligne 13 du Chemin de Fer Métropolitain possède la rare caractéristique d'être bifide : à La Fourche, une branche se dirige vers Saint Denis, l'autre vers Clichy et Asnières. Cette division n'est pas sans entraîner quelques problèmes pour l'usager distrait, qui n'a prêté attention ni à la destination affichée en tête de rame, ni au code de couleur qui l'accompagne, bleu pour Saint Denis, jaune pour Asnières, ou, simplement, abusé par l'état déplorable du matériel qui fait que ces indications sont fréquemment soit absentes, soit trompeuses. Décidément aux petits soins avec ses clients, la RATP a récemment pourvu cette ligne de panneaux électroniques qui affichent, outre ce code de couleur, le délai d'attente, compté en minutes, pour les quatre prochaines rames, soit, en dehors des heures d'affluence, deux par destination. Le décompte régulier des minutes qui rapprochent le train salvateur, et par là même le foyer protecteur, du voyageur anxieux a tout pour rassurer celui-ci. Pourtant, beaucoup trop souvent, il arrive que la machine s'enraye : le compteur hésite, ralentit, arrive au zéro alors que la rame n'est toujours pas là ; une, deux minutes passent, puis les couleurs basculent, le train jaune disparaît, remplacé par un bleu qui arrive bientôt, et dont les voitures, qui devaient ramener le clichois à bon port, se dirigent en fait vers les contrées hostiles et mystérieuses de la Seine-Saint Denis.

Que deviennent ces trains disparus ? Sont-ils, pour des raisons de régulation, momentanément retirés du trafic, placés sur une improbable voie de garage, dans les rares stations qui, comme Invalides, en disposent, en attendant leur tour ?

Disparaissent-ils corps et biens, matériel, personnel, passagers, entraînés dans un néant inimaginable pour expier un retard de quelques minutes ? Comment se fait-il alors, vu la fréquence de l'incident, que personne n'en parle jamais ? Quelle monstrueuse organisation faudrait-il mettre en œuvre pour faire taire tous les proches des disparus ? Ont-ils seulement jamais existé, ces trains qui n'ont après tout pas donné d'autre témoignage de leur existence qu'une lumière jaune ou bleue sur un panneau, servent-ils à tromper le voyageur dans sa trop longue attente et à augmenter fictivement et gratuitement la trop faible quantité de rames en circulation ? Mais une telle politique, qui va frustrer l'usager au lieu de le satisfaire, ne produirait-elle pas l'inverse du résultat escompté ? S'agirait-il alors d'une mesure à usage interne, destinée par exemple à gonfler les statistiques ? Et ces panneaux d'affichage qu'on voit si souvent en panne, marchent-il seulement d'ordinaire, indiquent-ils un décompte crédible ou ne sont-ils que l'aléa d'une illusion ?

La voix du régulateur viendra plus ou moins vite tirer le voyageur de sa rêverie, annonçant quelque incident technique. On comprend alors que le système a déraillé, égrenant un décompte qui s'appliquait en fait à une rame à l'arrêt, et que, sans doute, il a brutalement été rappelé à l'ordre et remis à zéro par quelque intervention manuelle. Suivant le lieu et la gravité de l'incident, il ne reste alors que deux possibilités : au mieux, la portion de ligne concernée se trouve suffisamment loin pour espérer un retour sans trop de retard ; au pire, tu rentres avec tes pieds.

Denis Berger 10 août 2001

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