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LE CARNET DU CITADIN III
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Une longue observation de la population
parisienne des conducteurs de deux-roues à propulsion non
thermique permet, non seulement de constater une telle uniformité
dans les comportements que cette population peut fort bien être
réduite à un unique cycliste emblématique, mais
surtout de tirer une conclusion irréfutable : à
l'évidence, le cycliste parisien est schizophrène. Du
véhicule, le cycliste emprunte le mode de déplacement,
s'insérant dans un flux de circulation qui ne lui est guère
favorable, et se trouvant dès lors contraint de respecter les
règles d'un code pénal connu sous le nom de Code de la
Route ; du piéton, il adopte un comportement qui viole
systématiquement les mêmes règles. Le spectacle
d'un cycliste respectant les feux de circulation est ainsi aussi rare
que celui d'un chauffeur-livreur garé dans un emplacement
prévu à cet effet. On a dès lors du mal à
comprendre le bien-fondé d'une politique publique qui, depuis
quelques années déjà, semble vouloir développer
son usage, notamment par la mise en place d'infrastructures
spécifiques, points de stationnement et voies de circulation
en particulier. Près des entrées de la station Mairie
de Clichy, sur la ligne 13, la RATP a ainsi cru bon de disposer des
abris à vélos d'une esthétique provocante, et
d'un coût vraisemblablement exorbitant. Le vélo, nous dit-on, présente d'énormes avantages pour la circulation urbaine : il encombre peu et ne pollue pas. Et il est vrai que le cycliste parisien, récoltant joncs et bambous dans les forêts alentour, possède seul cette capacité de fabriquer son vélo lui-même, coupant ainsi court à toute pollution industrielle. Les plus courageux tannent un cuir d'antilope pour en faire une selle, les autres se contentent de coudre quelques feuilles de bananier. Naturellement, le pilote de cet engin est un modèle de sobriété puisqu'il vit de l'air ambiant et ne produit aucun rejet. Force est de constater que, sur la faible population de cyclistes circulant dans les rues de Paris, aucun ne se rapproche de cet idéal ascétique. Quant à l'encombrement, les autres types de deux-roues, bien que biplaces, présentent des avantages similaires. |
Coûtant trois fois moins et consommant deux fois moins que les plus petites voitures, suffisamment performants pour assurer des trajets suburbains empruntant des voies rapides, les deux-roues à moteur de faible cylindrée représentent ainsi la solution la plus adaptée aux déplacements individuels dans l'agglomération parisienne. Fort logiquement, leur usage se développe considérablement ; pourtant, interdits de parcours dans les couloirs de bus autorisés aux vélos, partageant avec ces derniers une quantité dérisoire de places de stationnement inadaptées à leur morphologie, scooters et motos ont été, par décision régalienne et à cause de leur moteur thermique, placés dans la catégorie des nuisibles. On hésite au moment de rechercher la cause d'une telle attitude. Par une sorte d'ablation de la faculté d'appréhender le réel qui limite l'existence de l'agglomération parisienne aux seules frontières administratives de la capitale, et permet ainsi de ne prendre en compte que des trajets de faible distance que l'on peut effectuer à vélo, voire à pieds, ou peut-être à cause d'un mépris bien vivace à l'égard du banlieusard, assez bon pour venir travailler à Paris et y dépenser son maigre salaire dans les grands magasins de la ville, mais privé du moindre droit, puisqu'il n'y vote pas et n'y paye pas d'impôt personnel, et donc sommé de se déplacer sous terre pour ne pas encombrer les artères urbaines et préserver l'insolente pureté de l'air métropolitain, l'actuelle équipe municipale semble décidée à entraver par tous les moyens la circulation des véhicules individuels à moteur thermique, toutes catégories confondues. Cette politique s'exprime dans la prolifération de cet objet déjà si répandu et si controversé qu'il se trouvera à coup sûr bientôt désigné d'un simple sigle, le NCA, alias nouveau couloir d'autobus. Ce qu'il y a de bien dans le NCA, c'est
qu'il est sensiblement plus large que l'ancien, puisqu'il occupe
facilement une voie et demie, et qu'il est lourdement protégé
par tout un éventail de bordures et de quilles.
Officiellement, il ne sert qu'à favoriser la circulation des
autobus, des taxis, des véhicules d'urgence, et des vélos.
Dans le discours, il est justifié par la recherche d'une
meilleure répartition de l'espace de circulation entre les
voitures, qui l'occupent en quasi-totalité, et les autres
usagers, alors même que l'essentiel des déplacements ne
se font pas en automobile. Naturellement, cet argument est
parfaitement spécieux : à Paris, l'essentiel des
déplacements s'effectuent sous terre, et cette comparaison
n'aurait de sens que si elle se limitait à comptabiliser les
passagers des autobus. Nul doute que l'argument n'y perde beaucoup de
sa valeur. Décourager la circulation automobile en la rendant si difficile qu'elle contraindrait les automobilistes à se tourner vers les transports publics, voilà bien le but réel de ces mesures. Évidemment, elles vont échouer : elle n'auront d'autre résultat que d'augmenter significativement la pollution de l'air par les embouteillages, et de développer la pratique du deux-roues à moteur. N'en restera que cet espèce de rêve insensé et si idéologiquement caractéristique d'une sorte de Paris Nouveau où ne circuleraient plus que des camions, des autobus, des piétons, et des myriades de vélos : la Chine Rouge, en somme. Denis Berger 7 décembre 2001 |
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