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Le risque écolopolitique 2 : les anciennes énergies nouvelles | |
La jeunesse, à l'échelle historique, des mouvements écologistes, derniers arrivés sur la scène politique nationale et dont certains fixent arbitrairement l'origine, en France, à la candidature de René Dumont aux élections présidentielles de 1974, la confusion de leur naissance dans les retombées de l'explosion de mai-juin 1968, laquelle n'a pas laissé le souvenir d'une action fortement cohérente ni férocement disciplinée, la diversité des parcours comme des âges de leurs militants, leurs modes d'action, enfin, exercés à un niveau européen, voire mondial, qui ne peuvent manquer d'avoir des conséquences sur leur prise en compte de spécificités historiques ou géographiques parfois très locales, expliquent sans doute pourquoi, a contrario, les positions qu'ils défendent, leur seul élément commun, forment un corpus uniforme, rigide et singulier lequel, au delà d'un contenu en apparence technique, prend l'aspect d'une véritable doctrine. du bon usage de la novlangueCes source d'énergies agréées, regroupées sous l'appellation de renouvelables puisqu'elles ne font appel à aucune sorte de combustible fossile, et encore moins radioactif, se trouvent énumérées en une liste uniforme et limitative : éoliennes, petite hydraulique, solaire thermique ou photovoltaïque, biomasse, géothermie et, un peu à part, biocarburants. À la notable exception des photopiles, sans doute en partie présentes ici faute d'avoir pu être raisonnablement exclues, ce qui conduira toujours, pour ne pas abimer le paysage, à couvrir d'un voile discret leurs procédés de fabrication fortement consommateurs de solvants pas du tout inoffensifs, toutes ces appellations si flatteuses à l'esprit progressiste ne recouvrent qu'un ensemble de pratiques vieilles comme la découverte du feu par l'humanité : moulin à vent ou à eau, huile d'éclairage, four solaire ou bois de chauffage, et qui ont en commun d'avoir été, pour un certain nombre d'excellentes raisons, plus ou moins délaissées à partir de la révolution industrielle, alimentée à la vapeur de charbon. On connaît bien le principal handicap de nombre de ces sources d'énergie, leur caractère imprévisible et intermittent ; on insiste moins souvent sur une caractéristique commune à beaucoup d'entre elles : on les trouve en abondance principalement là où l'on n'en a pas besoin. Forêts profondes, déserts glacés, vents violents constituent en effet autant d'obstacles à la présence humaine. Ainsi, les vents les plus favorables à l'installation éolienne, loin d'être équitablement répartis, soufflent-ils essentiellement, en plus du nord-est du Danemark, des Corbières et de l'Aragon, sur les côtes ouest de l'Irlande et de l'Écosse, que l'on sait densément peuplées et facilement reliées au continent. En France, les vents soufflant en moyenne à plus de 5,5 m/s sur terrain plat ne couvrent, en plus du sillon rhodanien et du Roussillon, qu'un petit quart nord-ouest du pays. Et si une turbine typique produit sa puissance nominale à 15 m/s, celle-ci décroît très rapidement à partir de 12 m/s : en dessous de 5 m/s, sa production est nulle. En d'autres termes, le territoire national se montre fort avare d'emplacements permettant une installation rationnelle d'aérogénérateurs. Il est, de la méme façon, en grande partie privé de ressources géothermiques et, comme la quasi-totalité de l'espace européen, peu propice à une énergie solaire dont, par ailleurs, l'utilisation présente bien d'autres contraintes. Cela, au demeurant, ne devrait pas être bien grave : grâce à ses installations hydroélectriques et à ses centrales nucléaires, 90 % de la production de l'électricien public se retrouve vierge de toute émission, ce qui permet au citoyen français de produire trois fois moins de gaz à effet de serre qu'un nord-américain. Pourtant, en transformant, contre tout bon sens, l'énergie nucléaire en mal absolu, l'écologie européenne disqualifie cette performance sans équivalent. Tout juste consent-elle à agréer son hydroélectricité, malgré la taille de ses installations qui, visiblement, dérange dans le paysage : on lui préfèrera, comme dans le rapport Cochet, la petite hydraulique et ses microcentrales. les vertus du bois et du tournesolEn grand pays agricole, la France offre-t-elle au moins, à l'écologiste sourcilleux, la profondeur de ses forêts et la vigueur de ses moissons : forte utilisatrice de bois de chauffage, elle fut pendant longtemps le premier producteur européen de biocarburants. On pourrait, naïvement, s'inquiéter des émissions de gaz carbonique issues de la combustion du bois, lesquelles sont encore supérieures à celles de ce charbon qui rendit l'air des grandes villes encore plus nocif, au début du XXème siècle, qu'il ne l'est, au début du suivant, à cause des gaz d'échappement des moteurs thermiques. L'écologiste nous rassure : le bilan est neutre, le bois brûlé ne rejetant dans l'atmosphère que la quantité de gaz carbonique absorbé durant sa croissance, d'où l'intérêt présenté par l'augmentation des surfaces forestières, savamment dénommées puits de carbone.
En dehors de la question de savoir pourquoi un tel raisonnement ne s'applique ni au lignite ni au charbon, ces combustibles fossiles qui, après tout, eux aussi, furent végétaux durant leur jeunesse, on peut trouver utile de se pencher sur l'évolution de ces surfaces, telles qu'elle ressortent des statistiques de l'institut ad hoc, l'Inventaire Forestier National. Le critère du bilan neutre, en plus du bois et ses déchets, s'applique aux divers types de carburants, huiles ou alcools, purs ou élaborés, que l'agriculture nationale produit à partir des grains, de la betterave sucrière ou des oléagineux. Curieusement, bien que déclinés sous une quantité d'appellations déposées préfixées de bio-, ces produits ne semblent guère en odeur de sainteté auprès du pur écologiste : dans la liste des membres de l'Erec, on trouve tous les industriels du secteur, et un paquet de multinationales, sauf les producteurs de biocarburants, lesquels n'appartiennent même pas à l'association européenne pour la biomasse. C'est que, bien loin du cliché télévisé de l'irréductible agriculteur s'obstinant à rouler à l'huile de tournesol tout en guerroyant contre le fisc, le biocarburant national, dont les esters sont banalement incorporés en faible proportion et en toute discrétion dans le gazole, sort essentiellement des usines de la filière nationale des huiles végétales, comme des raffineries du premier producteur européen d'ETBE : Total. De la matière première, issue des grandes exploitations betteravières, les entreprises agricoles les plus secrètes, les mieux subventionnées et les plus rentables de l'Union européenne, comme de la culture de céréales ou d'oléagineux, à sa distribution à la pompe, en passant par une élaboration où huile et éthanol seront transformés en produits d'appellation complexe, mais plus conformes aux normes, toute la filière fonctionne de la façon la plus capitaliste. Sa seule faiblesse provient du facteur qu'elle ne maîtrise pas, une politique publique à laquelle il appartient de dire s'il vaut mieux employer ses subventions agricoles à produire du carburant plutôt que d'aller exercer une concurrence déloyale sur les marchés d'exportation, et si, lors de l'achat de celui-ci, il convient de payer des taxes sur des hydrocarbures importés plutôt que le coût d'une matière première de production locale. la photopile, miroir des vanitésLe solaire, à l'inverse, en particulier dans sa noble déclinaison photovoltaïque, jouit d'une popularité à priori un peu surprenante, et bien supérieure à celle du simple panneau thermique dont l'usage massif dans certains pays, comme la Grèce, se révèle pourtant totalement pertinent. La photopile, le plus dispendieux et le plus inefficace des moyens utilisés à ce jour pour fournir de l'énergie au réseau électrique, n'offre pourtant guère d'autre avantage, contre ses concurrents, que la longue durée de vie de ses photopiles en silicium. Paradoxalement, cette technologie n'existe, et ne prospère, que grâce à sa rentabilité, puisqu'elle permet d'alimenter des installations de faible puissance et totalement isolées pour un coût bien inférieur à celui de leur raccordement au réseau, quand celui-ci est physiquement possible. La photopile, en somme, se trouve fort bien adaptée aux besoins modestes et ponctuels de bien des pays en développement, et parfaitement superflue sur les denses réseaux électriques européens. La mère nature, de plus, ne se montre guère accommodante, en répartissant de manière relativement inégale ses intensités solaires : même si, sauf la nuit, la transformation en électrons des photons traversant les couches nuageuses reste toujours possible, la quantité d'énergie reçue varie, pour l'Europe, de 4 kW/h par mètre carré et par jour en Andalousie, à moins d'1 kW/h pour l'est de l'Allemagne. Pourtant, c'est ici que fleurit une étonnante spécificité locale, le Solarpark, oû l'on se bat, entre Länder, à coup d'inaugurations et de photopiles : 33 500 modules en septembre 2004, avec Shell Solar en maître d'oeuvre, à Espenhain près de Leipzig, 22 500 au même moment, sous l'égide de BP Solar pour la voisine Sachsen-Anhalt, ou encore 32 740 dès décembre 2002 en Bavière, près de Regensburg, soit trois fois plus que les 10 500 panneaux de Passau, et beaucoup moins que les 50 000 de la future centrale sarroise de Göttelborn. |
le grand totem blancMais ce que les écologistes aiment par dessus tout, c'est cet objet d'une technicité affirmée sans être provocante, juste de quoi se sentir un petit peu moderne, toujours immaculé, et tellement plus propre qu'un poêle à charbon, effilé comme un avion, aérien comme un brave navire à voiles : l'éolienne. L'histoire commence au Danemark, dont les zones côtières du nord et de l'ouest figurent parmi les plus ventées d'Europe, tout en restant densément peuplées. D'une topographie aussi plate que son voisin néerlandais, moins bien pourvu en hydrocarbures même si sa production dépasse largement ses besoins, privé de charbon et d'hydroélectricité, le Danemark, en matière de production d'énergie, éprouve quelques difficultés à présenter un bilan écologiquement favorable, et compte donc au nombre des gros producteurs de gaz carbonique, d'autant que ses besoins en énergie, thermique en particulier, ne diffèrent pas fondamentalement de ceux de ses voisins scandinaves qui disposent, eux, des vastes gisements hydroélectriques de leurs lacs et de leurs montagnes. Mais plus que de pionnier, le Danemark sert maintenant de modèle, avec son parc éolien qui, désormais, représente en gros un sixième de ses capacités de production d'électricité, donc bien plus que n'importe quel autre pays européen. En d'autres termes, il a déjà presque réalisé les objectifs que certains proposent pour l'Union européenne de 2020, et montre, au quotidien et en vrai grandeur, comment vivre sous la dépendance du vent, et ce d'une manière d'autant plus claire que les informations nécessaires, venant du gouvernement comme des grands distributeurs, Eltra ou Elsam, sont publiées avec une remarquable franchise. Cette instabilité, on la suivra en direct, grâce à la carte, mise à jour chaque minute, que fournit Eltra, l'opérateur de la partie occidentale du Danemark, lieu d'élection des aérogénérateurs. Celle-ci affiche les statistiques de production, détaillées en fonction de leur origine, conventionnelle ou éolienne, ainsi que la consommation des abonnés d'Eltra, et ses échanges avec les pays voisins. Au choix, on interprétera ces chiffres comme un hommage permanent au sang-froid et au savoir-faire de ses régulateurs, comme une invitation pressante à ne pas aller plus loin dans l'impasse éolienne, ou comme un grand moment d'humour involontaire. Le Danemark, en d'autres termes, applique, en quelque sorte, la stratégie du passager clandestin, récupérant pour son seul profit les avantages de son précoce choix éolien, reportant sur ses voisins la charge d'équilibrer sa production. Sauf que, avec un marché libéralisé, rien ne lui garantit que ses excédents éoliens, dont le volume, la date à laquelle ils seront disponibles, la période pendant laquelle ils pourront être exportés, sont, dans les faits, imprévisibles, trouveront preneur à bon prix, pas plus qu'il n'est assuré que ses besoins à l'importation ne surgiront pas précisément au moment où le courant est le plus cher. Il se pourrait même que, le plus souvent, et parce que ses voisins, en particulier l'Allemagne, autre grosse utilisatrice d'éoliennes, se trouveront dans la même situation météorologique que lui, le pire arrive. l'hiver éolienAu même titre que la Grande-Bretagne, le Danemark figure donc parmi les pays les plus venteux d'Europe ; il dispose en outre d'une topographie plane qui s'étend au delà de ses limites terrestres, puisque son premier parc éolien maritime, Horns Rev, s'appuie sur des fonds dont la profondeur varie entre 6 et 14 mètres, d'une forte densité de population et d'une taille modeste, grâce auxquelles le transport de l'électricité des lieux de production aux agglomérations consommatrices se révèlera beaucoup moins problématique que si l'on cherche à alimenter Londres à partie du vent des Highlands. En d'autres termes, le Danemark, sur l'éolien, cumule les avantages, et aucun autre pays européen, à commencer par son voisin allemand, ne peut connaître de conditions aussi favorables. En Allemagne, quand le vent souffle, c'est souvent à proximité du Danemark, donc en Basse-Saxe et au Schleswig-Holstein, et pour le plus grand malheur d'E.ON, la compagnie d'électricité qui dessert, jusque dans la lointaine Bavière, le centre du pays. Sa filiale de transport et de distribution, E.ON Netz, publie un cahier de doléances intitulé Wind Report 2004, dont les seize maigres pages démolissent avec une sanglante sauvagerie la fiction d'un usage régulier et généralisé du courant éolien. Le hiatus entre une consommation répétitive, donc étroitement prévisible, et une production éolienne estimée grâce à des prévisions météorologiques beaucoup moins fiables, même à très court terme, dont E.ON a besoin pour évaluer la composante la moins fiable de ces prévisons approximatives, le vent, sa vitesse et sa durée, ne peut se voir comblé que grâce au maintien d'une capacité de production conventionnelle fournissant 80 % de la puissance des éoliennes. À cause du délai irréductible nécessaire au démarrage de ces installations de secours, l'électricien se voit contraint à maintenir en marche, en permanence, une capacité de réserve équivalente à 60 % de la production éolienne. Et tout cela, bien sûr, marche au charbon, ou au fuel, puisqu'on ne veut plus du nucléaire. Ainsi va l'éolien, en temps normal ; malheureusement, avec, par exemple, une quantité d'énergie qui, début mai 2003, couvre 32 % des besoins d'E.ON, pour tomber, deux jours plus tard, à 2 %, la normalité en la matière relève de la pure fiction, statistique en l'occurrence, et de l'illusion démagogique d'une distribution dont on ne garde que la moyenne en ignorant volontairement son écart-type. Après tout, pour obtenir une bonne approximation de la production électrique moyenne d'une ferme éolienne, on a besoin de mesurer durant trois ans la vitesse du vent sur le site choisi ; pour une turbine à gaz, il suffit de lire la fiche technique.
Naturellement, ces faits n'échappent pas à l'attention des promoteurs du courant éolien, qui proposent en particulier d'atténuer l'importance des fluctuations de production en renforçant la densité du réseau de distribution, interne comme transfrontalier. E.ON, contrainte par la réglementation à procéder sur ses propres deniers au renforcement de son réseau perturbé par l'électricité éolienne qu'elle est dans l'obligation de distribuer, se prépare ainsi à investir 200 millions d'Euros pour doubler ses lignes du nord de l'Allemagne, saturées, et incapables d'accueillir de nouvelles capacités éoliennes, et cela dans un délai incertain, et probablement relativement éloigné. On observera en effet avec intérêt la manière dont l'écologiste d'en haut réussira à persuader le militant de base d'accepter, pour le bien de ses chères éoliennes, la pose, à travers son champ, de ces nouvelles lignes à haute et très haute tension qui, d'habitude, déchaînent son hostilité. On pourra, de plus, mettre à profit l'expérience, beaucoup plus ancienne, acquise dans l'utilisation d'une autre source imprévisible de génération d'électricité : l'eau. On considère pourtant que, grâce aux grands barrages, celle-ci représente le seul moyen pratique de stocker cette énergie ; mais malheureusement, on a depuis longtemps oublié la magie qui permettait de commander la pluie. Et lorsque les précipitations manquent, la production d'hydroélectricité risque d'en être fortement affectée : en Espagne, pour reprendre les chiffres de la BP Statistical Review of World Energy, celle-ci a atteint 9,9 millions de Tep en 2001 pour tomber à 6 millions en 2002, avant de retrouver le niveau de 9,9 millions en 2003. Et en Norvège comme en Suède, où cette source d'énergie est dominante, les fluctuations, d'une année sur l'autre, peuvent atteindre les 20 %. Denis Berger 14 mars 2005 |
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