Politique

Qui garantit la liberté de la presse ?

On connaît désormais au moins un effet inattendu de la liberté de la presse : générer chez Bertrand Lemaire une pulsion lyrique accompagnée d’une grave surconsommation de majuscules. Résultat d’autant plus intéressant que l’objet lui-même, la liberté de la presse semble, si l’on s’y intéresse de manière plus terre-à-terre, pour le moins évanescent. Qui garantit, en effet, à qui, et selon quelles modalités, cette liberté-là ? La constitution, qui vise, entre autres, à définir les libertés publiques ? On trouvera bien, sans remonter trop loin, un article 14 qui stipule que : “Tout homme est libre de parler, d’écrire, d’imprimer, de publier : il peut, soit par la voie de presse, soit de toute autre manière, exprimer, diffuser et défendre toute opinion dans la mesure où il n’abuse pas de ce droit, notamment pour violer les libertés garanties par la présente déclaration ou porter atteinte à la réputation d’autrui.”

Cela paraît raisonnable, et satisfaisant ; le malheur est que l’article en question n’est tiré, ni de la constitution de 1958, ni même de celle de 1946, mais de la proposition de loi préalable à l’adoption de cette dernière. La constitution qui nous intéresse est totalement muette en matière de liberté de la presse, se contentant de reprendre à son compte les principes énoncés dans le préambule de la constitution de 1946, et dans la déclaration des droits de 1789. Dès lors se précisent deux séries de problèmes pratiques : le premier est de savoir comment, avec quelle procédure, devant quelle juridiction, faire respecter ses droits constitutionnels lorsque ceux-ci sont attaqués : le préambule de la constitution de 1946 précisait bien que “Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi” ; d’après les statistiques officielles, ce droit-là est donc quotidiennement violé un peu plus de trois millions de fois.

Se pose en outre un problème plus directement technique : si la liberté de la presse n’est en définitive garantie que par la déclaration des droits de 1789, qu’en est-il de la radio, de la télévision ou de la photographie, qui représentent l’essentiel de, disons, la consommation d’information du citoyen contemporain, et dont on peu s’inquiéter de la manière dont elles ont pu être prises en compte plus d’un siècle avant leur apparition ?

Je ne suis pas juriste, et encore moins constitutionnaliste : je ne suis donc pas capable de répondre à des questions qui ne paraissent nullement intéresser, par exemple, les rédacteurs des manuels de droit de la communication, lesquels sont essentiellement consacrés aux obligations de la presse, en matière de respect de la vie privée notamment. J’aurais pourtant aimé savoir quoi dire, à l’époque où je travaillais dans les équipes d’actualités télévisées de la plus grande agence de presse du monde, au policier qui, d’une manière qui m’a, après l’élection à la présidence de Jacques Chirac, semblé devenir systématique, nous interrompait d’un rédhibitoire : “z’avez l’autorisation ?” Car je peux après tout témoigner avoir été, avec le journaliste et le cameraman qui m’accompagnaient, embastillé pendant au moins cinq minutes au commissariat de police du VI ème arrondissement au nom de la défense de la liberté d’expression. Il faut dire que le cameraman avait, sur les instructions du journaliste, commis un crime inexpiable : sortant du Sénat où nous avions eu un entretien avec Maurice Schuman, il avait eu l’audace de faire un plan de la porte d’entrée de cette vénérable institution, avec la devise Liberté Egalité Fraternité. Il paraît que c’est interdit.

Denis Berger 3 octobre 1997

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