Cathodique | |
Vu à ma télé 4 : Voisin Voisine | |
Aux petites heures de chaque journée,
La Cinq diffuse une sit-com, un de ces feuilletons conviviaux qui
réunissent familles, amis et animaux d'appartement autour d'un
événement quelconque de la vie quotidienne. Celui-ci
s'appelle Voisin Voisine, et il est vraiment différent des
autres. Et quand arrive le générique, on peut jouer à compte-sponsors : dans le cas présent, ils sont trente-huit. Tout cela dure une bonne heure, soit deux fois les 26 ' qui sont de règle pour un programme de ce type. Au moment où j'écris, on diffuse le 85e épisode ; ça passe le matin et, bien sûr, compte tenu de l'horaire et de l'aspect de la chose, l'audience est nulle : on parle de 0,5 %. Alors, où est le truc ? On aura compris que les moyens mis en œuvre, les concessions systématiques qui rendent Voisin Voisine juste audible, à peine regardable et de toute façon mortellement ennuyeux n'ont qu'un but : réduire, avec minutie et acharnement, les coûts de production. |
Car cette série n'est rien d'autre qu'une double escroquerie. Elle revient, dit-on, à 150.000 F de l'heure, soit quatre fois moins cher qu'une sit-com classique. Les sponsors payent leur part : j'imagine qu'elle est modeste, mais ils sont nombreux. La Cinq doit participer à l'opération, d'assez loin, du bout des lèvres, histoire d'avoir son étoile au générique. L'essentiel du coût reste donc à la charge du producteur ; où est son intérêt ? Elémentaire : prévoyant, mais un peu simple, le pouvoir législatif a décidé d'accorder aux producteurs d'œuvres de fiction télévisée des subventions dites de réinvestissement : pour chaque heure produite et diffusée, on reçoit une somme, variable suivant les années budgétaires mais qui doit, pour l'heure, dépasser les 300.000 F, à condition que ces fonds soient réengagés dans des productions nouvelles. La combine n'est donc pas compliquée : si on réussit à fabriquer quelque chose qui, juridiquement, entre dans le domaine de la fiction et qui coûte le même prix que du direct, on double automatiquement sa mise. ne reste plus, ensuite, qu'à trouver une chaîne pas regardante pour passer tout ça en douce, et le tour est joué. Et ainsi La Cinq, le front haut, liquide les obligations de son cahier des charges : les voilà donc, les 150 heures de fiction 100 % française que l'on lui réclamait avec tant d'insistance. Comment ? Ça ne lui a quasi rien coûté ? Ça repousse les limites de la nullité bien au-delà de l'imaginable ? L'esprit de la loi est piétiné ? Mais vous n'êtes jamais content ! Voisin Voisine n'est pas une sit-com comme les autres : elle ne suscite pas le mépris ou l'ennui, mais la résignation. Une déjà assez vieille maxime rappelle que, en matière d'audiovisuel, les lois sont faites par des naïfs, et pour des malins. Le couple infernal qui a produit et diffusé Voisin Voisine est décidément bien trop malin : on a du mal à imaginer que la leçon puisse être profitable. Denis Berger 22 décembre 1988 |
Cathodique |